Anna Holub (Affective Advisory) apporte son expertise dans le domaine des sciences comportementales).
Convaincre les jeunes de se rendre aux urnes
En période de campagne électorale, tous les moyens de communication sont exploités : du plus traditionnel au plus récent, du flyer tout ménage à la vidéo TikTok. Le choix de l’un ou l’autre de ces canaux dépend évidemment du public que l’on souhaite toucher. La présence des partis et des candidat.e.s sur les réseaux sociaux a beaucoup fait parler durant la campagne : convaincre les jeunes d’aller voter étant une préoccupation de longue date pour la politique.
Grâce à ses vidéos courtes, créatrices de buzz au quotidien, TikTok se révèle être un puissant outil de communication – pour autant qu’on en maîtrise les codes. Pour convaincre, car c’est l’enjeu, il faut éviter le faux pas à tout prix. C’est là toute l’ambivalence des réseaux sociaux en période de campagne : ils sont indispensables, mais peuvent rapidement se retourner contre l’émetteur.
Toutefois, même à l’ère du tout numérique, les partis de tous bords politiques continuent de miser fortement sur les moyens de communication plus « traditionnels » en période de campagne. Affiches, flyers ou stands de campagne sur les marchés sont autant de supports de communication qui permettent aux candidat.e.s d’accroître leur visibilité et ainsi leur notoriété.
Bien qu’il soit difficile d’étudier la question de l’impact sur l’électorat de ces différents supports de communication, il est certain que les citoyen.ne.s sont submergé.e.s d’informations en période de campagne. Et ce, même lorsqu’ils font leurs courses au marché le samedi matin. Une telle surcharge informationnelle peut être particulièrement dissuasive dans des situations d’incertitude et peut empêcher les individu.e.s de prendre de nouvelles décisions. Elles et ils s’orientent par conséquent vers ce qui est déjà connu, ce que l’on appelle dans le jargon des sciences comportementales le biais du statu quo. Le biais du statu quo décrit une préférence marquée pour l’état actuel des choses face à une possibilité de changement, en particulier dans les situations complexes et incertaines. Souvent, cette surabondance d’information motive également les individu.e.s à recourir à des heuristiques. Les heuristiques peuvent être décrites comme des raccourcis mentaux ou des règles empiriques simples qui permettent et simplifient la prise de décision de manière automatique, intuitive et rapide. Cependant, ces heuristiques conduisent aussi souvent à des décisions sous-optimales et à des distorsions de notre perception, appelées biais, car elles ne tiennent pas compte de toutes les informations disponibles ou des contextes complexes.
La présence des partis sur les marchés hebdomadaires vise deux objectifs. Tout d’abord, ces stands ont pour but de mobiliser les candidat.e.s en interne, en les incitant à prendre part à une action commune en faveur de leur parti. Il va sans dire que plus un parti compte de membres, plus il peut assurer sa présence sur plusieurs marchés. Outre le fait de resserrer les rangs en interne, les stands sur les marchés permettent également d’augmenter la visibilité des partis, à moindre coût. Et ça, tous l’ont bien compris. Alors, chacun y va de sa tactique : affichages grand format, gilets aux couleurs fluo, distribution de café et autres gourmandises. Tout y passe pour se rendre plus visible que son voisin et pour attirer les regards et la sympathie des électeur.rice.s. D’un point de vue comportemental, les différentes tactiques font sens : les affiches grand format et les gilets aux couleurs fluos activent le principe comportemental de saillance. Notre attention n’est généralement attirée que par des informations visuellement marquantes, qui se distinguent de toute référence et de leur environnement. Parallèlement, le principe de réciprocité est activé, par exemple, en distribuant du café et d’autres friandises aux visiteur.euse.s du marché. Cela repose sur la tendance humaine, dans les relations interpersonnelles, à vouloir donner ou rendre quelque chose en retour, comme l’a éminemment décrit le comportementaliste américain Robert Cialdini. La présence des membres du parti et des individus sur le marché renforce les normes sociales relatives au choix du parti. Les gens se calquent sur le comportement des autres, surtout dans des situations incertaines et complexes. Lorsque les visiteur.euse.s voient les membres du parti ou l’intérêt d’autres passant.e.s, il.elle.s seront peut-être plus enclins à voter pour ce parti. Surtout s’il.elle.s sont submergé.e.s d’informations et qu’il.elle.s ne sont pas certain.e.s de leur choix.
Pour les candidat.e.s, ces moments privilégiés sur les marchés sont l’occasion rêvée d’aller à la rencontre de la population et d’échanger personnellement avec l’un ou l’autre passant.e venu.e faire ses emplettes. L’investissement personnel des candidat.e.s témoigne de leur disponibilité et de leur désir d’établir une relation de proximité avec les électeur.rice.s. De plus, le.la candidat.e « abstrait.e », visible uniquement sur une affiche électorale, devient réel.le. Il est important que les électeur.rice.s considèrent le.la candidat.e comme une « vraie personne » et intègrent les thèmes majeurs de la campagne électorale dans leur vie quotidienne (p. ex. l’impact sur moi-même).
Une campagne politique réussie, le choix d’un modèle mixte
Le secret d’une campagne politique réussie, c’est donc bel et bien un mélange de différents supports de communication, dont les stands sur les marchés font partie intégrante. Ils remplissent un critère important pour tout politique : celui de la proximité qui renforce les principes de saillance, de réciprocité ainsi que la construction des normes sociales. Même s’il n’est pas certain que les stands sur les marchés permettent de convaincre au-delà de son électorat, ils contribuent néanmoins à la fidélisation de ce dernier.